jeudi 10 juillet 2008

S. Sepehri : Au-delà des mers


S. Sepehri


Au-delà des mers

Je construirai une barque,
Je la lancerai à l'eau,
Et je m'éloignerai de cette terre étrangère
Où nul dans le bosquet d'amour
N'éveille plus les héros.

La barque vide de filet,
Comme le cœur, du désir de perle,
Ainsi je naviguerai.
Ni aux bleus ne m'attacherai
Ni aux sirènes qui émergent de l'onde
Et, dans ce miroitement où gîte la solitude des pêcheurs,
Lancent des charmes du bout de leurs chevelures.

Ainsi je naviguerai.
Ainsi je chanterai :
" Il faut s'éloigner, s'éloigner.
À l'homme de cette ville-là manquait le mythe,
À la femme la plénitude des grappes de raisin.
Nul miroir de grand-salle n'y répétait les liesses,
Les flaques même n'y renvoyaient pas les flambeaux.
Il faut s'éloigner, s'éloigner.
La nuit a chanté son hymne,
C'est au tour des fenêtres. "

Ainsi je chanterai.
Ainsi naviguerai.

Au-delà des mers se trouve une ville
Dont les fenêtres ouvrent sur l'épiphanie*.
Les toits y sont le domaine de pigeons attentifs au jaillissement de l'intelligence humaine.
À la main de chaque enfant de dix ans se trouve une branche de connaissance.
Les gens de cette ville scrutent un simple pisé
Du même œil qu'une flamme, qu'un sommeil subtil.
La terre y entend la musique de tes sens
Et le bruit d'ailes des oiseaux du mythe s'y glisse avec le vent.

Au-delà des mers se trouve une ville
Où l’immensité du soleil est à la mesure des yeux des matineux.
Les poètes y sont les héritiers de l'eau, de la sagesse et de la lumière.

Au-delà des mers se trouve une ville !
Il faut construire une barque.

* Entendre ce mot dans son acception étymologique d'apparition, de manifestation.


Poème extrait de VOLUME VERT de Sohrâb SEPEHRI
(traduit du persan par Tayebeh HASHEMI et Jean-Restom NASSER)

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