lundi 30 mars 2009

Dupuytren




Ainsi la triste histoire une dernière fois redite ils restèrent assis comme devenus de pierre. Par l'unique fenêtre l'aube ne versait nul jour. De la rue nul bruit de résurrection. A moins qu'abîmés dans qui sait quelles pensées ils n'y fussent insensibles. A la lumière du jour. Au bruit de résurrection. Quelles pensées qui sait. Pensées non, pas pensées. Abîmes de conscience. Abîmés dans qui sait quels abîmes de conscience. D'inconscience. Jusqu'où nul jour ne peut atteindre. Nul bruit. Ainsi restèrent assis comme devenus de pierre. La triste histoire une dernière fois redite.

Samuel Beckett

samedi 28 mars 2009

Le père du père de mon père




Je m'souviens mon père disait...



Quand le père du père de mon père avait une tâche difficile à accomplir, il se rendait à un certain endroit dans la forêt, allumait un feu et se plongeait dans une prière silencieuse. Et ce qu'il avait à accomplir se réalisait.



Quand, plus tard, le père de mon père se trouva confronté à la même tâche, il se rendit à ce même endroit dans la forêt et dit : "nous ne savons plus allumer le feu mais nous savons encore dire la prière". Et ce qu'il avait à accomplir se réalisa.



Plus tard, mon père (…) lui aussi alla dans la forêt et dit : "nous ne savons plus allumer le feu, nous ne connaissons plus les mystères de la prière mais nous connaissons encore l'endroit précis dans la forêt ou cela se passait et cela doit suffire". Et cela fut suffisant (…)



Mais quand, à mon tour, j'eus à faire face à la même tâche, je suis resté à la maison et j'ai dit : "nous ne savons plus allumer le feu, nous ne savons plus dire les prières, nous ne connaissons même plus l'endroit dans la forêt mais nous savons encore raconter l'histoire".



Ainsi parlait mon père...

jeudi 26 mars 2009

Qu'il était bleu, le ciel




Colloque sentimental

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.

-Te souvient-il de notre extase ancienne ?
-Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ?

-Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ?
Toujours vois tu mon âme en rêve? -Non.

-Ah! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches! -C'est possible.

Qu'il était bleu, le ciel, et grand l'espoir !
-L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.

Paul Verlaine

mardi 24 mars 2009

Dégradation




Ma pensée m'abandonne, à tous les degrés. Depuis le fait simple de la pensée jusqu'au fait extérieur de sa matérialisation dans les mots. Mots, formes de phrases, directions intérieures de la pensée, réactions simples de l'esprit, je suis à la poursuite constante de mon être intellectuel. Lors donc que je peux saisir une forme, si imparfaite soit-elle, je la fixe, dans la crainte de perdre toute la pensée. Je suis au-dessous de moi-même, je le sais, j'en souffre, mais j'y consens dans la peur de ne pas mourir tout à fait.

Antonin Artaud (Lettres à Jacques Rivière)

dimanche 22 mars 2009

Vagabondage




Quand je rencontre une idée qui n'est pas de ce monde, c'est comme si pour moi grandissait le monde.

Antonio Porchia

mardi 17 mars 2009

Marron glacé




...Avec le temps qu'arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n'aille à terre
Avec pauvreté qui m'atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d'hiver...

Rutebeuf

samedi 14 mars 2009

Un roi sans divertissement


Le roi :
"C'est mon palais...


-Mon jardin...


-Ma frontière...


-Mes sujets..."


"Cela ne vous suffit pas ? demande l'homme.

- Cela vous suffirait ?" dit le roi.

jeudi 12 mars 2009

Le curieux de...




Dégoûtant personnage

Il est curieux ! Ce type
Il est curieux !
Tout à l'heure, dans la rue, je regardais passer
une jolie femme ...
Il la regardait aussi !
Je lui ai dit :
- A quoi pensiez-vous en regardant cette jolie femme ?
Il m'a dit :
- A la même chose que vous !
Je lui ai dit :
- Vous êtes un dégoûtant personnage !

Raymond Devos

lundi 9 mars 2009

Échu




Les anges nous traversent parce qu'ils
sont nous-mêmes
désinvoltes dans l'extase et tout en
précaution
pour celui qui, tantôt l'un tantôt l'autre,
risque la chute.

Paul Chamberland

jeudi 5 mars 2009

Humain, trop humain




sans doute en nous il tourne une



autre terre autour d'un autre



soleil car le jour en nous n'a pas de fin le soleil



en nous ne se couche pas



sans doute en nous il tourne une
autre terre autour d'un autre
soleil car le jour en nous n'a pas de fin le soleil
en nous ne se couche pas

Henri Meschonnic