lundi 30 juin 2008

Sohrâb Sepehri : peintures (1)















dimanche 29 juin 2008

Au crépuscule du soir

Lorsque l'imaginaire,
délaissant la géographie médiévale, créatrice de Dragons fabuleux,
délaissant l'histoire moderne et son cortège de Dinosaures ressuscités,
naît de l'intime...

samedi 28 juin 2008

S. Sepehri : Sourate de la contemplation


S. Sepehri


Sourate de la contemplation


Je le jure par la contemplation
Par les prémices du verbe

Par l'envol de la colombe hors du mental

Un mot est en cage !


Mes paroles étaient claires comme un bout de prairie.
Je leur ai dit :
Un soleil borde votre seuil,
Si vous ouvrez la porte il brillera sur vos actes.

Et je leur ai dit :
La pierre n'est pas l'ornement des montagnes
Non plus que le métal une parure au contour de la pioche.
Dans le creux de ses mains, la terre tient un joyau caché
Par l'éclat duquel les prophètes furent éblouis, tous.
Soyez en quête du joyau,
Menez les instants au pâturage de la prophétie.

Et je leur ai porté la bonne nouvelle du bruit de pas du messager,
De la proximité du jour, l'accroissement des couleurs,
De la résonance des roses, derrière la haie des invectives.

Et je leur ai dit :
Quiconque voit un jardin dans la mémoire du bois,
Son visage demeurera dans le souffle du bosquet de l'éternelle ferveur,
Quiconque se fait ami avec l'oiseau de l'air,
Son sommeil sera le plus serein sommeil du monde,
Celui-là qui cueille la lumière au bout des doigts du temps
Défait le nœud des fenêtres avec un soupir.

Nous étions sous un saule.
J'ai pris une feuille sur la branche au-dessus de moi et j'ai dit :
Ouvrez les yeux, voulez-vous un meilleur signe que celui-ci ?
J'entendais qu'ils disaient entre eux :
Il connaît la magie ! La magie !

Sur chaque mont où ils virent un prophète
Ils se sont drapés dans le nuage de la négation.

Nous avons fait descendre le vent

Pour qu'il saisisse leurs couvre-chefs.

Leurs demeures étaient pleines de chrysanthèmes,

Nous avons fermé leurs yeux.

Nous n'avons pas conduit leurs mains à la branche de l'intelligence.

Nous avons rempli leurs poches d'habitudes.

Nous avons troublé leurs sommeils du bruit de voyage des miroirs.



Poème extrait de VOLUME VERT de Sohrâb SEPEHRI
(traduit du persan par Tayebeh HASHEMI et Jean-Restom NASSER)

vendredi 27 juin 2008

Reculé la fin du monde

On a « déterré » dans les archives paroissiales argoviennes de Boswil (Suisse) cette facture savoureuse datant de 1873. À cette époque la paroisse avait chargé un peintre de rafraîchir les fresques de la vielle église. Les travaux terminés, le peintre établit la facture suivante :



Extrait du N° 7 de la revue CARAVANES (Éditions Phébus)

mercredi 25 juin 2008

New York ou les Tables de la Loi ?


Tête de nœuds




Autoportrait "à la noix".

mardi 24 juin 2008

S. Sepehri : Exil


S. Sepehri


Exil

La lune est au-dessus du village,
Les villageois sont endormis.
Sur la terrasse, je hume la brique crue de l'exil.
Le jardin du voisin, sa lampe éclairée,
Moi, ma lampe éteinte...
Lune rayonnant sur le plat de concombres, le bord de la cruche d'eau.

Les grenouilles chantent.
La hulotte aussi, parfois.

La montagne est proche de moi : derrière les érables, les sorbiers,
Et l'on voit le désert.
On ne voit pas les pierres, on ne voit pas les fleurettes,
Au loin l'on voit des ombres, telle la solitude de l'eau, tel le chant de Dieu.

Il doit être minuit,
La Grande Ourse est là : une coudée au-dessus du toit.
Le ciel n'est pas bleu, il fut bleu le jour.
Je dois me souvenir, demain, d'aller au verger de Hassan acheter des prunes
et des abricots.
Je dois me souvenir, demain, au bord de l'étang, de dessiner quelques chèvres,
Quelques armoises, leurs reflets dans l'eau.
Je dois me souvenir : tout papillon qui tombe à l'eau, vite le sortir de l'eau.
Je dois me souvenir de ne rien faire qui heurte la loi de la terre.
Je dois me souvenir, demain, au bord du ruisseau, de laver aussi ma serviette
avec la saponaire.
Je dois me souvenir que je suis seul.

La lune est au-dessus de la solitude.


Poème extrait de VOLUME VERT de Sohrâb SEPEHRI
(traduit du persan par Tayebeh HASHEMI et Jean-Restom NASSER)

dimanche 22 juin 2008

Encore un jour de passé

sur le chemin, nulle part
et c'est déjà l'automne



samedi 21 juin 2008

Au détour du chemin

j'ai aperçu mon âme, tortueuse et trop fière,
s'adressant à la lune comme d'égal à égal.


Biographie de Sohrâb SEPEHRI




Autoportrait

Plus connu de son vivant pour son travail de peintre, Sohrâb Sepehri, qui est à peu prés inconnu sous nos climats malgré les nombreux voyages qu’il y fit, se trouve être le poète iranien contemporain le plus célébré (à titre posthume) par l’Iran d’après la révolution, et ce plus particulièrement par les jeunes générations qui représentent environ 60% de la population du pays. C’est dire combien cette voix, par-delà sa singularité et sa profondeur, est susceptible de nous révéler quelques aspects majeurs de cette part du monde que le monde lui-même tente d’occulter depuis tant d’années...

1928 : Naissance de Sohrâb SEPEHRI à Kâchân ; ville située au bord du grand désert central de l’Iran, à mi-chemin entre Téhéran et Ispahan, oasis à laquelle il fut viscéralement attaché et dont la géographie occupera une place importante dans ses œuvres tant picturales que poétiques. Il y fait ses études primaires et secondaires. Très tôt il écrit des poèmes, dessine, peint, et joue d’un instrument à cordes (santour).
1948 : Obtient son bac littéraire et s’inscrit aux Beaux-Arts de l’université de Téhéran pour y étudier la peinture.
1949 : Quelques publications mineures.
1951 : Publie son premier recueil Mort de la couleur (marg-e-rang).
1953 : Fin des études aux Beaux-Arts récompensées par un premier prix. Publie son deuxième recueil La vie des rêves (zendegi-e-khâbhâ).
1957 : Voyage à Paris (où il suit les cours de lithographie à l’Ecole des beaux-arts) et Londres.
1958 : Participe à la première biennale de peinture de Téhéran. Voyage en Europe (Paris et Rome). Quatre de ses toiles sont envoyées à la biennale de Venise.
1960 : Grand prix de la deuxième biennale de peinture de Téhéran. Voyage au Japon où il s’initie à l’art de la gravure sur bois. A son retour, il passe par l’Inde et y contemple Agra et le Tâj Mahal.
1962 : Participe à plusieurs expositions en Iran. Publie deux autres recueils Avalanche de soleil (âvâr-e-âftâb) et L’orient de la tristesse (chargh-e-andouh).
1963 : Participe à la biennale de Sao Paulo (Brésil) et expose au musée du Havre ainsi qu’en Iran.
1964 : Voyage en Inde (Bombay, Bénarès, Delhi, Agra, les grottes d’Ajanta, le Cachemire), au Pakistan (Lahore, Peshâwar) et en Afghanistan. Au mois de novembre, il publie, dans la revue Ârash, un long poème intitulé Le bruit des pas de l’eau (sedây-e-pây-e-âb). Diverses expositions ainsi qu’un voyage en Europe (Munich et Londres).
1966 : Le voyageur (mosâfer), autre long poème, parait également dans la revue Ârash. Voyage en Europe (France, Espagne, Hollande, Italie, Autriche).
1968 : Publie Volume vert (hadjm-e-sabz).
1969 : Fait plusieurs expositions en Iran et à l’étranger (festival de Royan).
1970 : Séjourne durant sept mois à New York (Long Island) et participe à une exposition dans la ville de Bridge Hampton. Retour en Iran puis de nouveau New York pour y faire une exposition à la galerie Benson.
1972 : Expose à la galerie Cyrus (qui dépendait de la Maison de l’Iran) à Paris.
1973 : Séjourne durant une année à la Cité des arts de Paris.
1975 : Participe à la première exposition internationale d’art de Téhéran. Voyage en Grèce et en Egypte.
1976 : Participe à l’exposition d’art contemporain de Téhéran ainsi qu’au marché de l’art à Bâle (Suisse).
1977 : Première édition des œuvres complètes sous le titre Huit livres (hacht ketâb) comprenant son dernier recueil Nous rien, nous regard (mâ hitch, mâ negâh).
1979 : La révolution iranienne éclate. Deuxième édition des Huit livres. Au mois de décembre Sepehri, malade, se rend en Angleterre pour s’y faire soigner puis retourne en Iran.
1980 : Au mois d’avril, atteint de leucémie aiguë, il s’éteint à l’âge de cinquante-deux ans dans un hôpital de Téhéran.
1990 : Parution de trois essais inachevés sous le titre de La chambre bleue (otâq-e-âbi).

S. Sepehri : Le message des poissons


S. Sepehri


Le message des poissons

J'étais allé au bord du bassin
Pour apercevoir, peut-être, le reflet de ma solitude dans l'eau,
I1 n'y avait pas d'eau dans le bassin.
Les poissons disaient :
" Ce n'est en rien la faute des arbres !
Lors de ce lourd midi d'été,
Le lumineux fils de l'eau s'était assis au bord de la rigole
Quand l'aigle du soleil survint et l'emporta dans les airs, bel et bien.

Au diable l'oxygène de l'eau.
Et l'éclat de nos écailles qui, pour s'en être allé, s'en est allé !
Mais cette lumière intense,
Le reflet de cet œillet carmin sur l'eau,
Dont le cœur, quand le vent soufflait, battait derrière les rides de l'insouciance,
C'était notre œil.
C'était une brèche ouverte sur l'aveu du paradis.

Toi, si tu as vu Dieu dans la palpitation du jardin, dévoue-toi
Et fais savoir que le bassin aux poissons n'a plus d'eau. "

Le vent s'en allait trouver le platane.
Je m'en allais, moi, trouver Dieu.


Poème extrait de VOLUME VERT de Sohrâb SEPEHRI
(traduit du persan par Tayebeh HASHEMI et Jean-Restom NASSER)

vendredi 20 juin 2008

Volume Vert

VOLUME VERT de Sohrâb SEPEHRI

de Sohrâb SEPEHRI
Recueil traduit du persan par Tayebeh HASHEMI et Jean-Restom NASSER
(dans la chronologie du livre)

************


Sur la paupière de la nuit


Ce fut une nuit prodigue.
Du pied des sapins la rivière s'en allait vers les au-delàs.
La vallée baignait dans le clair de lune, et la montagne était si lumineuse que Dieu se faisait
visible.

Dans les hauteurs, nous.
Lointains évanouis, surfaces lavées, le regard plus fin qu'en toute nuit.
Tes mains me tendaient la tige verte d'un message
Et la faïence du côtoiement se fendillait lentement sous ton souffle
Et nos battements coulaient à la pierre.
D'un vin vieux, le sable de l'été dans les veines
Et le vernis du clair de lune sur tes gestes.
Toi merveille, toi libre, et digne de la terre.

Le verdoyant laps de vie rejoignait l'air frais des montagnes.
Les ombres repartaient,
Et sur le chemin de la brise, encore,
Des pouliots qui remuaient,
Des attirances qui s'enchevêtraient.


************


La clarté, moi, les fleurs, l'eau


Pas de nuages,
Pas de vent.
Je m'assieds au bord du bassin :
Déambulation des poissons, la clarté, moi, les fleurs, l'eau.
Pureté de la grappe de vie.

Ma mère cueille du basilic.
Pain, basilic et fromage ; un ciel sans taches, des pétunias mouillés.
La délivrance proche : parmi les fleurs de la cour.

La lumière, dans le bol de cuivre, que de caresses verse-t-elle!
L'échelle, par le sommet du grand mur, apporte le matin sur la terre.
Derrière un sourire toute chose cachée.
Le mur du temps recèle une brèche d’où l’on aperçoit mon visage.
Il y a des choses que je ne sais pas.
Je sais, si j'arrache une herbe je mourrai.
Je m'élève jusqu'au zénith, je suis plein de l'aile et du plumage.
Je vois le chemin dans les ténèbres, je suis plein du fanal.
Je suis plein de la lumière, du sable,
Plein de la ramure.
Je suis plein du chemin, du pont, de la rivière, de l'onde.
Je suis plein du reflet de la feuille dans l'eau :
Comme mon dedans est seul.


************


Un message en chemin

Un jour
Je viendrai, et j'apporterai un message.
Dans les veines, je verserai de la lumière,
Et je crierai : holà, vos paniers pleins de sommeil ! Voici la pomme, la pomme rouge du soleil !

Je viendrai, je donnerai du jasmin au mendiant.
La belle lépreuse, je lui offrirai d'autres pendeloques.
À l’aveugle, je dirai : quel spectacle le jardin !
Je me ferai camelot, je parcourrai les rues, je claironnerai : ohé rosée, rosée, rosée !
Un passant dira : en vérité, c'est une nuit obscure. Je lui donnerai une galaxie.
Sur le pont, une fillette sans jambes : j'accrocherai la Grande Ourse à son cou.
Chaque insulte, je l'écarterai des lèvres,
Chaque mur, je l'arracherai.
Aux brigands, je dirai : une caravane arrive, chargée de sourires !
Je déchirerai le nuage.
Je nouerai les yeux au soleil, les cœurs à l'amour, les reflets à l'eau, les branches au vent.
J'attacherai le sommeil de l'enfant au crissement des cigales.
Les cerfs-volants, je les lâcherai dans l'air.
Les pots de fleurs, je les arroserai.

Je viendrai au-devant des chevaux, des vaches, je verserai l'herbe verte des caresses.
La jument assoiffée, je lui apporterai un seau de rosée.
L'âne rabougri sur le chemin, je chasserai ses mouches.

Je viendrai sur chaque mur, j’y planterai un œillet.
Au pied de chaque fenêtre je dirai un poème.
À chaque corbeau j’offrirai la branche d’un pin.
Au serpent, je dirai : quelle splendeur la grenouille !
Je réconcilierai.
Je rapprocherai.
Je marcherai.
Je boirai la lumière.
J'aimerai.


************


Pochade

Le ciel, plus bleu,
L'eau, plus bleue.
Moi sur la terrasse, Ra'anâ prés du bassin.

Elle lave du linge, Ra'anâ.
Les feuilles tombent.
Ce matin ma mère disait : c'est une saison triste.
Je lui ai dit : la vie est une pomme, il faut la croquer avec la peau.

La voisine à sa fenêtre brode, chante.
Moi, je lis des Védas, parfois aussi
J'esquisse une pierre, un oiseau, un nuage.

Soleil radieux.
Les étourneaux sont arrivés,
Les capucines ont fraîchement paru.
J'égrène une grenade, et je me dis :
Il serait bon, ces gens, que les grains de leur cœur soient apparents.
Gicle à mon œil le jus de la grenade : je verse des larmes.
Ma mère s'esclaffe.
Ra'anâ aussi.


************


L'eau

Ne rendons pas l'eau boueuse :
Il semblerait qu'en aval un pigeon s'abreuve,
Ou qu'en un lointain bosquet un chardonneret lave ses plumes,
Que dans un hameau une cruche s’emplisse.

Ne rendons pas l'eau boueuse :
Peut-être va-t-elle, cette eau vive, jusqu'au pied d'un peuplier laver
la tristesse d'un cœur.
La main d'un derviche y a peut-être plongé son pain sec.

Une belle femme est venue au bord de la rivière,
Ne rendons pas l'eau boueuse :
Le beau visage s'est dédoublé.

Quel délice cette eau !
Quelle limpidité cette rivière !
Ces gens en amont que de grâce ils ont !
Que leurs sources bouillonnent, que leurs vaches donnent des flots de lait !
Je n'ai pas vu leur village,
Sans doute y a t-il au pied de leurs haies la trace du pied de Dieu.
Là-bas le clair de lune illumine l'étendue de la parole.
Sans doute, au village en amont, les murets sont-ils bas.
Les gens y savent quelle fleur est le coquelicot.
Sans doute, là-bas, le bleu est-il bleu.
Qu'un bouton éclose, les villageois sont au courant.
Quel village ce doit être !
Que ses chemins s'emplissent de musique !
Les gens du haut de la rivière comprennent l'eau :
Ils ne la rendent pas boueuse. Nous non plus
Ne rendons pas l'eau boueuse.


************


À Golestâneh


Des plaines si vastes !
Des montagnes si hautes !
À Golestâneh, il y avait une telle odeur d'herbe !
Moi, dans ce hameau, j'étais en quête de quelque chose :
Quête d'un rêve peut-être,
D'une lumière, d'un caillou, d'un sourire.

Derrière les peupliers
I1 y avait une insouciance pure, qui m'appelait.

Je suis resté au pied d'une roselière, le vent soufflait, j'ai tendu l'oreille :
Qui me parlait ?
Un lézard a glissé.
Je me suis mis en route.
Un champ de luzerne sur le chemin,
Puis les plants de concombre, les touffes de carthames*
Et l'oubli de la terre.

Au bord de l'eau
J'ai ôté mes guivés** et me suis assis, les pieds dans l'eau :
" Que je suis vert aujourd'hui
Et comme mon corps est en éveil !
Fasse que nulle tristesse ne survienne de derrière la montagne !
Qui est là-bas, derrière les arbres ?
Rien, une vache broute dans le clos.
C'est un midi d'été.
Les ombres savent quel été.
Des ombres sans tache,
Un coin clair et pur,
Enfants des sensations ! l'aire de jeux est ici.
La vie n'est pas creuse :
Il y a la tendresse, il y a la pomme, il y a la foi.
Oui
Il faut vivre, tant qu'existent les coquelicots.

Dans mon cœur se trouve une chose, comme un bosquet de lumière, comme
le sommeil du petit jour
Et je suis si fébrile que j'ai envie
De courir jusqu'au bout de la plaine, de grimper en haut de la montagne.
Dans les lointains il est une voix, qui m'appelle. "


* Safran bâtard ou safran des teinturiers.
** Sortes de babouches dont l'empeigne est en coton et la semelle en corde ou en cuir.



************


Exil

La lune est au-dessus du village,
Les villageois sont endormis.
Sur la terrasse, je hume la brique crue de l'exil.
Le jardin du voisin, sa lampe éclairée,
Moi, ma lampe éteinte...
Lune rayonnant sur le plat de concombres, le bord de la cruche d'eau.

Les grenouilles chantent.
La hulotte aussi, parfois.

La montagne est proche de moi : derrière les érables, les sorbiers,
Et l'on voit le désert.
On ne voit pas les pierres, on ne voit pas les fleurettes,
Au loin l'on voit des ombres, telle la solitude de l'eau, tel le chant de Dieu.

Il doit être minuit,
La Grande Ourse est là : une coudée au-dessus du toit.
Le ciel n'est pas bleu, il fut bleu le jour.
Je dois me souvenir, demain, d'aller au verger de Hassan acheter des prunes
et des abricots.
Je dois me souvenir, demain, au bord de l'étang, de dessiner quelques chèvres,
Quelques armoises, leurs reflets dans l'eau.
Je dois me souvenir : tout papillon qui tombe à l'eau, vite le sortir de l'eau.
Je dois me souvenir de ne rien faire qui heurte la loi de la terre.
Je dois me souvenir, demain, au bord du ruisseau, de laver aussi ma serviette
avec la saponaire.
Je dois me souvenir que je suis seul.

La lune est au-dessus de la solitude.


************


Le message des poissons

J'étais allé au bord du bassin
Pour apercevoir, peut-être, le reflet de ma solitude dans l'eau,
I1 n'y avait pas d'eau dans le bassin.
Les poissons disaient :
" Ce n'est en rien la faute des arbres !
Lors de ce lourd midi d'été,
Le lumineux fils de l'eau s'était assis au bord de la rigole
Quand l'aigle du soleil survint et l'emporta dans les airs, bel et bien.

Au diable l'oxygène de l'eau.
Et l'éclat de nos écailles qui, pour s'en être allé, s'en est allé !
Mais cette lumière intense,
Le reflet de cet œillet carmin sur l'eau,
Dont le cœur, quand le vent soufflait, battait derrière les rides de l'insouciance,
C'était notre œil.
C'était une brèche ouverte sur l'aveu du paradis.

Toi, si tu as vu Dieu dans la palpitation du jardin, dévoue-toi
Et fais savoir que le bassin aux poissons n'a plus d'eau. "

Le vent s'en allait trouver le platane.
Je m'en allais, moi, trouver Dieu.


************


L'adresse

"Où est la maison de l'ami ?" C'est à l'aube que s'enquit le cavalier.
Le ciel fit une pause.
Le passant offrit le brin de lumière qu'il avait aux lèvres à l'obscur des sables
Puis du doigt désigna un peuplier et dit :

"Avant d’atteindre l'arbre,
Il y a une traverse plus verte que le sommeil de Dieu
Où l'amour est aussi bleu que les plumes de la sincérité.
Tu iras jusqu'au bout de ce chemin qui débouche derrière l'adolescence,
Puis tu tourneras vers la fleur de la solitude.
À deux pas de la fleur,
Tu t'arrêteras au pied de l'éternelle fontaine des mythes de la terre ;
Là, une frayeur diaphane s'emparera de toi.
Dans l'intimité fluide de l'espace tu entendras un bruissement :
Tu verras un enfant perché sur un grand pin
Saisissant un poussin dans le nid de lumière
Et tu lui demanderas
Où est la maison de l'ami."


************


Une oasis dans l'instant

Si vous venez à moi,
Je me trouve derrière le pays du rien.
Derrière le pays du rien, il est un lieu.
Derrière le pays du rien, les veines de l'air regorgent d’aigrettes*
Apportant des nouvelles de la fleur éclose au plus lointain bouquet de la terre,
Et les sables gardent trace des chevaux de ces sublimes cavaliers qui, au matin,
Gravirent la colline où s’élève le coquelicot.
Derrière le pays du rien, le parapluie du désir est ouvert :
Dès qu'une brise de soif s'élance au cœur d'une feuille,
Le tocsin de la pluie se met à sonner.
Ici l'homme est seul
Et dans cette solitude l'ombre d'un orme court pour l'éternité.

Si vous venez à moi,
Venez-vous en doucement, de crainte que ne se craquelle
La fine porcelaine de ma solitude.


* Il s'agit des aigrettes du pissenlit dont le nom, en persan, signifie littéralement “ petite messagère “.


************


Au-delà des mers

Je construirai une barque,
Je la lancerai à l'eau,
Et je m'éloignerai de cette terre étrangère
Où nul dans le bosquet d'amour
N'éveille plus les héros.

La barque vide de filet,
Comme le cœur, du désir de perle,
Ainsi je naviguerai.
Ni aux bleus ne m'attacherai
Ni aux sirènes qui émergent de l'onde
Et, dans ce miroitement où gîte la solitude des pêcheurs,
Lancent des charmes du bout de leurs chevelures.

Ainsi je naviguerai.
Ainsi je chanterai :
" Il faut s'éloigner, s'éloigner.
À l'homme de cette ville-là manquait le mythe,
À la femme la plénitude des grappes de raisin.
Nul miroir de grand-salle n'y répétait les liesses,
Les flaques même n'y renvoyaient pas les flambeaux.
Il faut s'éloigner, s'éloigner.
La nuit a chanté son hymne,
C'est au tour des fenêtres. "

Ainsi je chanterai.
Ainsi naviguerai.

Au-delà des mers se trouve une ville
Dont les fenêtres ouvrent sur l'épiphanie*.
Les toits y sont le domaine de pigeons attentifs au jaillissement de l'intelligence humaine.
À la main de chaque enfant de dix ans se trouve une branche de connaissance.
Les gens de cette ville scrutent un simple pisé
Du même œil qu'une flamme, qu'un sommeil subtil.
La terre y entend la musique de tes sens
Et le bruit d'ailes des oiseaux du mythe s'y glisse avec le vent.

Au-delà des mers se trouve une ville
Où l’immensité du soleil est à la mesure des yeux des matineux.
Les poètes y sont les héritiers de l'eau, de la sagesse et de la lumière.

Au-delà des mers se trouve une ville !
Il faut construire une barque.


* Entendre ce mot dans son acception étymologique d'apparition, de manifestation.


************


Palpitation du reflet de l'ami

Jusqu'à la masse noire du village il restait du chemin.
La vive lune indigène, pure exégèse, comblait nos yeux,
La nuit peuplait nos manches.

Nous traversions une ravine sèche,
Les oreilles pleines de la parole des prairies,
Les sacs emplis d'échos de villes lointaines,
La rugueuse logique du sol filant sous nos pas.

Dans nos bouches ballottait la saveur du repos,
Nos souliers faits de prophétie nous soulevaient du sol avec la brise,
Nos bâtons portaient à l'épaule l'éternel printemps.
Chacun de nous avait un ciel en chaque méandre de sa pensée,
Chaque mouvement de nos mains s'accordait au tressaillement d'une aile attirée par l'aurore,
De nos poches émanait le pépiement des matins de l'enfance.
Nous étions une poignée de fidèles d'amour et notre route
Longeant les villages familiers du dénuement
Menait à une grâce sans limites.

Au-dessus d’un étang, d'elles-mêmes les têtes s'inclinèrent toutes :
La nuit s'évaporait sur nos visages
Et la voix de l'ami parvint à l'oreille de l'ami.


************


Bruit de rencontre

Avec le panier je partis au marché, c'était le petit jour.
Les fruits chantaient,
Les fruits au soleil chantaient.
Dans les plateaux, la vie effleurant la perfection des peaux rêvait à d'inaltérables surfaces.
L'angoisse des vergers était patente à l'ombre de chaque fruit.
Parfois une inconnue nageait parmi les reflets des coings.
Chaque grenade étalait sa couleur jusqu'à la terre des orants.
La vision de mes concitoyens, hélas,
Était tangente à la circonférence de la splendeur des bigarades.

Je revins à la maison, ma mère demanda :
- Tu n'as pas acheté de fruits au marché ?
- Les fruits infinis, comment tiendraient-ils dans ce panier ?
- Je t'avais dit d’acheter au marché six livres de bonnes grenades !
- J'ai examiné une grenade,
Sa dilatation débordait le panier.
- Et les coings ? Mais enfin, le repas de midi...
- …

À midi, l'image des coings fuyait à travers les miroirs jusqu'aux lointains de la vie.


************


Nuit de la bonne solitude

Écoute, le plus lointain oiseau du monde chante.
La nuit est fluide, une, béante.
Les géraniums
Et la branche la plus sonore de la saison entendent la lune.

L'escalier devant le bâtiment,
La porte, sa lanterne à la main,
Et dans la profusion de la brise...

Écoute, de loin le sentier hèle tes pas.
Tes yeux ne sont pas les atours de l'obscurité,
Dessille tes paupières, chausse-toi, et viens.
Et viens jusqu'à ce lieu où le duvet de la lune avertira tes doigts,
Où le temps s'assiéra près de toi sur une motte de terre,
Où les psaumes de la nuit attireront à eux ta silhouette comme un fragment de chant.

Là se trouve un orant qui te dira :
La meilleure chose est d'atteindre au regard embué par l'évènement de l'amour.


************


Sourate de la contemplation

Je le jure par la contemplation
Par les prémices du verbe

Par l'envol de la colombe hors du mental

Un mot est en cage !


Mes paroles étaient claires comme un bout de prairie.
Je leur ai dit :
Un soleil borde votre seuil,
Si vous ouvrez la porte il brillera sur vos actes.

Et je leur ai dit :
La pierre n'est pas l'ornement des montagnes
Non plus que le métal une parure au contour de la pioche.
Dans le creux de ses mains, la terre tient un joyau caché
Par l'éclat duquel les prophètes furent éblouis, tous.
Soyez en quête du joyau,
Menez les instants au pâturage de la prophétie.

Et je leur ai porté la bonne nouvelle du bruit de pas du messager,
De la proximité du jour, l'accroissement des couleurs,
De la résonance des roses, derrière la haie des invectives.

Et je leur ai dit :
Quiconque voit un jardin dans la mémoire du bois,
Son visage demeurera dans le souffle du bosquet de l'éternelle ferveur,
Quiconque se fait ami avec l'oiseau de l'air,
Son sommeil sera le plus serein sommeil du monde,
Celui-là qui cueille la lumière au bout des doigts du temps
Défait le nœud des fenêtres avec un soupir.

Nous étions sous un saule.
J'ai pris une feuille sur la branche au-dessus de moi et j'ai dit :
Ouvrez les yeux, voulez-vous un meilleur signe que celui-ci ?
J'entendais qu'ils disaient entre eux :
Il connaît la magie ! La magie !

Sur chaque mont où ils virent un prophète
Ils se sont drapés dans le nuage de la négation.

Nous avons fait descendre le vent

Pour qu'il saisisse leurs couvre-chefs.

Leurs demeures étaient pleines de chrysanthèmes,

Nous avons fermé leurs yeux.

Nous n'avons pas conduit leurs mains à la branche de l'intelligence.

Nous avons rempli leurs poches d'habitudes.

Nous avons troublé leurs sommeils du bruit de voyage des miroirs.



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Les ailes du murmure

Il faut encore que la neige fonde sur le sol.
Il faut encore que se ferment tous ces parapluies, nénuphars à l'envers.
L'arbre est inachevé.
Sous la neige demeurent : le désir de la feuille de flotter au vent
Et l'éclat humide de l'œil de l'insecte
Et le lever de tête de la grenouille à l'horizon des perceptions de la vie.

Il faut encore que nos plateaux s'emplissent de la conversation des samboussehs* et de la fête.
Dans cet air qui ne résonne pas même de la poussée d'une branche,
Où ne parvient pas même le chant d'une aile par la brèche de la constellation neigeuse,
J'ai soif de murmure.
Il faut encore que l'oiseau recouvre la voix sur le mur en pisé des divagations de mars.
Alors que dois-je faire, moi,
Lorsque dans la plus nue saison de l'année, privé de gazouillis,
J'ai soif de murmure ?

Mieux vaut que je me lève,
Que je prenne les couleurs,
Que je peigne un oiseau sur ma propre solitude.


* Petites fleurs des environs de Kâchân (ville natale du poète) dont les autochtones se servent pour teindre les œufs en bleu lors de la fête de nowrouz, le nouvel an iranien célébré au moment de l'équinoxe de printemps.


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Clair feuillet d'heures

Sous l'assaut de la lumière les carreaux de la porte vibraient.
Ce fut le matin, le soleil surgit.
Nous bûmes le thé sur le pré de la table.

À neuf heures les nuages apparurent, les clôtures furent mouillées.
Mes petits instants étaient tapis sous les capucines.
Il y avait une poupée derrière la pluie.

Les nuages s'en furent.
Un air limpide, un moineau, un envol.
Où sont mes ennemis ?
Je pensais :
En présence des géraniums la cruauté fondra.

J'ouvris la porte : un morceau de ciel tomba dans mon verre d'eau,
Je bus l'eau avec le ciel.
Mes petits instants faisaient des rêves de pur argent.
J'ouvris mon livre sous l'invisible plafond de l'heure.

Ce fut la mi-journée.
L'odeur du pain voyageait entre l'ensoleillement de la nappe et la perception du corps de la fleur,
Le pâturage des perceptions verdoyait.

Ma main flotta dans les couleurs innées de l'être :
J'épluchais une orange.
On voyait la ville dans le miroir.
Où sont mes amis ?
Que leurs jours soient d'orange !

Derrière la vitre, de la nuit tant que tu en voulais.
Dans ma chambre résonnait le choc de mes doigts contre le zénith,
Dans ma chambre parvenait le bruit de fléchissement des critères,
Mes petits instants pensaient jusqu'aux étoiles.
Le sommeil édifiait des choses sur mes yeux :
Un espace ouvert, les sables du fredonnement, les traces de pas de l'ami…


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Ensoleillé

On entend le bruit de l'eau, que peut-on bien laver dans le ruisseau de la solitude ?
Le vêtement des instants est propre.
Sous le soleil du vingt huitième jour de décembre
Le bourdonnement de la neige, le fil de la contemplation, les gouttes de l’heure.
La fraîcheur est sur les briques, sur l'ossature du jour.
Que voulons-nous ?
La buée saisonnière enveloppe nos mots,
La bouche est la serre de la pensée.

Des voyages te rêvent en leurs ruelles,
En de lointains villages des oiseaux entre eux célèbrent ta présence.

Pourquoi les gens ignorent-ils
Que la capucine n'est pas fortuite,
Pourquoi ignorent-ils que dans les yeux du hochequeue d'aujourd'hui se trouve le reflet des eaux du fleuve d'hier ?
Pourquoi les gens ignorent-ils
Que l'air est froid dans les fleurs impossibles ?


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Frémissement du mot vie

Derrière la pinède, la neige...
La neige, une poignée de corbeaux...
Le chemin signifie l'exil.
Le vent, le chant, le voyageur, et quelque envie de dormir...
La branche de lierre, et l'arrivée, la cour.

Moi, et triste, et cette vitre mouillée.
J'écris, et l'espace.
J'écris, et les deux murs, quelques moineaux.

Quelqu'un est triste.
Quelqu'un brode.
Quelqu'un compte.
Quelqu'un chante.

La vie signifie : un étourneau s'est envolé.
Qu'est-ce qui t’a rendu triste ?
Les joies ne sont pas rares : ce soleil par exemple,
L'enfant d'après-demain,
Le pigeon de l'autre semaine.

Quelqu'un est mort hier soir
Et le pain de blé est encore bon,
L'eau dévale encore, et les chevaux s’y abreuvent.

Les gouttes dans le courant,
La neige sur l'épaule du silence
Et le temps le long de l’épine dorsale du lilas.


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Du vert au vert

Moi dans cette obscurité
Je songe à un agneau lumineux
Qui viendrait paître l'herbe de ma fatigue.

Moi dans cette obscurité
Je vois le prolongement humide de mes bras
Sous la pluie
Qui mouilla les premières oraisons de l'homme.

Moi dans cette obscurité
J'ai ouvert la porte aux prairies antiques,
Aux ors que nous contemplâmes sur le mur des mythes.

Moi dans cette obscurité
J'ai vu les racines
Et au tout jeune buisson de la mort, j'ai expliqué l'eau.


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L'appel du commencement

Où sont mes chaussures,
Qui a bien pu appeler : Sohrâb ?
Elle m’était familière, cette voix, comme l'air est familier au corps de la feuille.
Ma mère dort.
Ainsi que Manoutchehr* et Parvâneh** et peut-être tous les gens de la ville.
La nuit de juin s'écoule sur la pointe des secondes avec la lenteur d'une élégie
Et s’échappant du verdoyant liseré de la couverture une brise fraîche balaye mon sommeil.
Il y a comme une odeur de migration :
Mon oreiller est plein d’un bruissement de plumes d'hirondelles.

Ce sera le matin
Et dans ce bol d'eau
Le ciel émigrera.

Il me faut partir cette nuit.

Moi qui par la plus béante fenêtre ai parlé avec les gens d'ici,
Je n'ai pas entendu une seule parole dans l’air du temps.
Aucun regard ne s'est amoureusement fixé sur le sol,
Nul n'a été attiré par la vue d'un jardinet,
Personne n'a pris au sérieux la pie à l'orée du champ.
Et mon cœur se serre comme un nuage
Quand, de la fenêtre, je vois Houri
-la fille adolescente du voisin-
S’asseoir au pied de l'orme le plus rare sur la terre
Pour étudier son catéchisme.

Il y a tout de même des choses, des instants grandioses
(j'ai vu, par exemple, une poétesse
Si absorbée dans la contemplation de l'espace qu'en ses yeux
Le ciel a pondu.
Et une nuit d'entre les nuits
Un homme m'a demandé :
Jusqu'au lever de raisin, combien d'heures de route ?)

Il me faut partir cette nuit.

Il me faut cette nuit prendre ma valise
Qui est à l’aune de la chemise de ma solitude
Et partir du côté
Où l'on devine les arbres épiques,
Vers cette immensité sans mots qui ne cesse de m'appeler.
Quelqu'un a encore dit : Sohrâb !
Où sont mes chaussures ?

* Prénom masculin.
** Prénom féminin.



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Au jardin des compagnons de voyage

Appelle-moi.
Ta voix est bonne,
Ta voix est la chlorophylle de cette plante étrange
Qui pousse aux intimes confins de la mélancolie.

Face aux dimensions de cette ère silencieuse,
Moi, je suis plus seul que la saveur d'une mélodie dans le champ de perceptions d'une ruelle.
Viens, que je dise pour toi combien ma solitude est grande.
Mais ma solitude ne prévoyait pas l'attaque nocturne de ton volume,
Et le propre de l'amour c'est cela.

I1 n'y a personne,
Viens, dérobons la vie
Et partageons-la entre deux rencontres.
Viens, qu’ensemble nous comprenions quelque chose à l'état de la pierre.
Viens, et plus vite nous apercevrons les choses.
Vois les aiguilles du jet d'eau sur le cadran du bassin :
Elles transforment le temps en poussière.
Viens te dissoudre comme un mot dans la ligne de mon silence,
Viens fondre au creux de ma main le corps luminescent de l'amour.

Réchauffe-moi
(D'ailleurs un jour, dans la steppe de Kâchân, le temps se couvrit,
I1 tomba une forte pluie,
Et j'eus froid ; alors, à l’abri d'une pierre,
L'âtre du coquelicot me réchauffa.).

Dans ces venelles obscures,
Moi, j'ai peur du fruit de la multiplication du doute et de l'allumette,
J'ai peur des surfaces cimentées du siècle.
Viens et je n'aurais plus peur de ces villes dont la terre noire sert de pâture aux grues.
Ouvre-moi, porte donnant sur la chute des poires dans cette ère d'ascension de l'acier.
Endors-moi sous une branche loin de la nuit des frictions du métal.
Si l’orpailleur du gisement de matins arrive, appelle-moi !
Et, au lever d’un lilas derrière tes doigts, je m'éveillerai.
Alors
Raconte ces bombes tandis que je dormais, et qui tombèrent.
Raconte ces joues tandis que je dormais, et qui se mouillèrent.
Dis combien d'oiseaux s'envolèrent de sur la mer,
Et dans ce branle-bas des chenilles de tank passant sur un rêve d'enfant,
Au pied de quelle sensation de repos le canari fixa le fil jaune de son chant.
Dis quelle innocente marchandise pénétra dans les ports,
Quelle science découvrit la musique positive de l'odeur de la poudre,
Quelle perception de l'inconnue saveur du pain exsuda des papilles de la prophétie.

Alors moi, telle une foi chaude du feu de l'équateur,
Je t'assiérai au commencement d'un jardin.


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I should be glad of another death.
T. S. ELIOT



L'amie*


Elle n’était que grandeur,
Appartenance à l'aujourd'hui,
Avait une parenté avec tous les horizons ouverts,
Et comme elle comprenait bien le ton de l'eau et de la terre !

Sa voix
Évoquait la confuse langueur de la réalité.
Ses paupières
Nous ont indiqué où prendre le pouls des éléments.
Ses mains
Ont feuilleté l'air pur de la générosité
Et rabattu vers nous la tendresse.

Elle était à l'image de son repliement
Et elle a commenté pour le miroir
Les plus amoureuses courbes de son heure.
Elle était, à la façon de la pluie, riche de la fraîcheur des répétitions
Et elle se propageait à la manière de l'arbre
Dans le bien-être de la lumière.
Elle appelait toujours l'enfance du vent,
Elle nouait toujours le fil de la conversation
À la clenche de l'eau.
Une nuit, pour nous,
Elle a si crûment formulé
La verte prosternation de l'amour
Que nous avons effleuré l'affection de la terre
Et sommes devenus aussi frais que le parler d'un seau d'eau.

Et que de fois l’avons-nous vue
Prendre ô combien de paniers
Pour aller à la cueillette d'une grappe de bonne nouvelle !

Mais il n'est point advenu
Qu'elle s'assoie face à l'évidence des colombes
Et elle s'en est allée au bord du rien,
S'est allongée derrière la patience des lumières,
Et n'a en rien pensé
Que dans l’échevelée scansion des portes, nous,
Pour manger une pomme,
Nous resterions si seuls.

* Ce poème a été composé en hommage à la poétesse iranienne Forough Farrokhzâd (1935-1967).


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Toujours

Le soir
Quelques étourneaux
Quittèrent l'orbite de la mémoire du pin.
Demeura la bonté corporelle de l'arbre,
Et la pudeur de l'Illumination* coula sur mon épaule.

Parle, ô nocturne femme promise !
Sous les affectueuses ramures du vent
Dépose mon enfance entre mes mains.
Au cœur de ces " toujours " noirs,
Parle, sœur du parfaire chamarré !
Emplis mon sang des douceurs de l'intelligence.
Sur la rugosité du souffle de l'amour
Révèle mon pouls.
Marche au plus pur des terres
Jusqu'à la limpidité du jardin des mythes.
À l'orée de l'instant où le raisin flamboie,
Parle, houri du verbe primitif !
Épure ma langueur
Dans la lointaine embouchure de la locution,
Et dans tous les sables salants de la lassitude
Donne cours au gosier de l'eau.

Puis
Déploie le doux hier soir des paupières
Sur les prairies étales de la perception.


* Le terme ici employé par le poète, Eshrâq, est celui dont se servit au Xlle s. le penseur iranien Sohravardi pour qualifier sa doctrine. Henri Corbin (En islam iranien, II, pp. 47-50) en précise ainsi le sens : "... De même qu'il désigne (ce mot) dans le monde sensible la splendeur du matin, l'instant où le premier éclat de l'astre s'épanouit dans le pourpre de l'aurore levante, de même il désigne pour le ciel spirituel de l'âme l'instant épiphanique de la Connaissance de soi… ".


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Jusqu'à la pulsation humide du matin

Ah ! Quelle splendeur dans le don des surfaces !
Ô noble cancer de la solitude,
Que ma surface te soit octroyée !

Une personne est venue
Qui a prolongé ma main
Jusqu'aux muscles du paradis.
Une personne est venue portant la clarté du matin des religions
Au milieu des boutons de sa chemise.
Elle tissait des fenêtres
Avec l'herbe sèche de versets anciens.
Comme les avant-hiers de la pensée, elle était jeune.
Son gosier s'était empli
Du caractère bleu des fleuves.
Une personne est venue qui a emporté mes livres.
Au-dessus de ma tête, elle a tiré le dais de l'harmonie des fleurs,
Elle a déployé mon soir en lucarnes répétées,
Elle a disposé ma table sous la spiritualité de la pluie.
Puis, nous nous sommes assis,
Nous avons parlé de minutes boisées,
De mots dont la vie s'écoulait au cœur de l'eau.
Notre séjour sous les nuages opportuns
Tel le corps étourdi d'une impromptue colombe
Occupait un délicieux volume.

C'était le milieu de la nuit, dans l'agitation des fruits
La silhouette des arbres se fit étrange,
Le fil moite de notre sommeil s'égara.
Puis
La main se baigna dans les prémices du corps.
Puis, dans les entrailles humides de l'orme du jardin
Ce fut le matin.

mardi 17 juin 2008

Il est encore des lieux...





Il est encore des lieux, en ce monde, où la simplicité de la vie, où la pureté de l'instant me laissent tout simplement hagard. Je me défais alors de moi-même, au coeur de cette sublime stupéfaction, happé par l'immanence.

lundi 16 juin 2008

"Parle-t-il à Dieu ?

Peut-être devrais-je m'adresser à Dieu.
Je suis au plus profond de l'abîme, et je ne sais plus prier."


Entrée en matière(s)




Autoportrait
à la fenêtre

Où il semble bien que j'ai quelque chose à dire. Oui, mais quoi ?