dimanche 17 août 2008

S. Sepehri : L'appel du commencement



S. Sepehri



L'appel du commencement

Où sont mes chaussures,
Qui a bien pu appeler : Sohrâb ?
Elle m’était familière, cette voix, comme l'air est familier au corps de la feuille.
Ma mère dort.
Ainsi que Manoutchehr* et Parvâneh** et peut-être tous les gens de la ville.
La nuit de juin s'écoule sur la pointe des secondes avec la lenteur d'une élégie
Et s’échappant du verdoyant liseré de la couverture une brise fraîche balaye mon sommeil.
Il y a comme une odeur de migration :
Mon oreiller est plein d’un bruissement de plumes d'hirondelles.

Ce sera le matin
Et dans ce bol d'eau
Le ciel émigrera.

Il me faut partir cette nuit.

Moi qui par la plus béante fenêtre ai parlé avec les gens d'ici,
Je n'ai pas entendu une seule parole dans l’air du temps.
Aucun regard ne s'est amoureusement fixé sur le sol,
Nul n'a été attiré par la vue d'un jardinet,
Personne n'a pris au sérieux la pie à l'orée du champ.
Et mon cœur se serre comme un nuage
Quand, de la fenêtre, je vois Houri
-la fille adolescente du voisin-
S’asseoir au pied de l'orme le plus rare sur la terre
Pour étudier son catéchisme.

Il y a tout de même des choses, des instants grandioses
(j'ai vu, par exemple, une poétesse
Si absorbée dans la contemplation de l'espace qu'en ses yeux
Le ciel a pondu.
Et une nuit d'entre les nuits
Un homme m'a demandé :
Jusqu'au lever de raisin, combien d'heures de route ?)

Il me faut partir cette nuit.

Il me faut cette nuit prendre ma valise
Qui est à l’aune de la chemise de ma solitude
Et partir du côté
Où l'on devine les arbres épiques,
Vers cette immensité sans mots qui ne cesse de m'appeler.
Quelqu'un a encore dit : Sohrâb !
Où sont mes chaussures ?

* Prénom masculin.
** Prénom féminin.



Poème extrait de VOLUME VERT de Sohrâb SEPEHRI
(traduit du persan par Tayebeh HASHEMI et Jean-Restom NASSER)

0 commentaires: