samedi 8 octobre 2011

Jusqu'à toi combien de poèmes (suite)


Note de lecture de Michel Ménaché pour la revue Europe :

La collection PO&PSY dirigée par Danièle Faugeras et Pascale Janot offre sous emboîtage de beaux petits recueils qu’on prend plaisir à découvrir tant la présentation en est soignée et, précieux, le choix des oeuvres. Ainsi avec les ouvrages de deux auteurs confirmés, Jacques Ancet et Antonio Porchia, vient de paraître Jusqu’à toi combien de poèmes d’un jeune poète jusque là diffusé uniquement sur internet et totalement inédit, Alireza Rôshan.
On sait la poésie vivante en Iran. Elle est un refuge pour l’esprit face à la censure et aux violences quotidiennes subies par tous ceux qui tentent encore de penser et de s’exprimer librement. Ce sont de très courts poèmes d’amour, d’une facture souple et légère, qui composent les feuillets de ce livret bilingue.
Le dépit amoureux s’y conjugue avec un humour triste teinté d’autodérision souriante : « nous l’eau / nous l’avons bue / pour pleurer. » Avec un lyrisme délicat, s’expriment métaphoriquement les correspondances sensibles entre la femme aimée et l’univers, entre l’obscur mystère des sentiments et le corps féminin nimbé de sa propre lumière : « combien faut-il que je sois nuit / pour que toi / tu sois lune… »
Si l’on osait une analogie subjective, dans leur traduction française, ces textes pourraient faire penser à un alliage subtil de l’esprit doux amer de Jules Laforgue et de la veine amoureuse de Paul Eluard. En réduction élémentaire, sur le mode aphoristique ! Mais attention, sans rupture avec la tradition persane du Bustan de Saadi ou des Rubâ-iyyât d’Omar Khayyam… Autant dire que le lecteur prendra plaisir à la dégustation intemporelle. En deux vers, le poète confie à l’aimée un précipité d’élégie : « dans chaque instant il y a un poème / le poème de ton absence. » Aujourd’hui comme hier, le désespoir du Majnoûn revisité en boucle à travers le soupirail de l’âme en peine : « tu as pleuré sur tous les prisonniers / sauf sur moi / qui en toi / suis prisonnier à vie. »
Tonalité élégiaque, non sans la distance critique, le sens de la chute ! En effet les limites du poème sont évoquées avec un passage éclair de l’infini du dehors à la réduction intime de la chambre : « nous voulions voir le vent / nous avons montré / le mouvement du rideau. »
Toutefois cette légèreté apparente n’exclut pas la profondeur d’un esprit contemplatif pénétré de la beauté du monde : « moi dans le désert / je ne suis pas seul / le désert est avec moi… »
Le lecteur s’y laisse conduire, ou égarer, avec délectation…

Lien vers la revue Europe

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